Le Même-moralisme, philosophie kinoise du consentement à la vie.
Par Béni BOBANGA WAWA
La pensée sociale n’est pas issue d’un mouvement condescendant. Elle n’est pas l’émanation des grandes écoles de sociologie ou des centres de recherches universitaires. Elle vient de la société elle-même et de ses membres les plus anonymes, de ses pratiques les plus simples et les plus courantes, de ses slogans qui se formulent dans les marchés, dans les bistrots, dans les cours communes et dans les rues. Autrement dit, la société est le laboratoire de sa propre pensée. Le rôle des universitaires et des chercheurs en sciences sociales se limite à la constater et à la théoriser. Ils ne l’inventent pas. Comme un miroir qui ne fait que fidèlement nous montrer ce que nous sommes, ils font prendre conscience à la société de ses habitudes, de ses mœurs, de ses valeurs, de ses idéologies.
Capitale de la République démocratique du Congo, Kinshasa est un véritable nid de poètes et de philosophes. On les rencontre à chaque coin de rue, à chaque rassemblement de personnes, à chaque terrain de jeux… On entend chanter l’amour par-ci et penser la vie par-là. Nous nous penchons vers une idéologie forgée par on ne sait qui et on ne sait quand ; il s’agit d’un trésor que résument deux mots simples : Même moral ! C’est souvent face à des situations pénibles de la vie qu’on entend dire les uns aux autres cette phrase sans verbe, en guise d’encouragement, de soutien et d’espoir. Mais que veut-elle signifier réellement ? La réponse à cette interrogation se trouve dans la combinaison d’une analyse « motamotiste » de ce qui est finalement plus qu’un slogan, avec une réflexion de fond.
A situations différentes, Même moral !
Plusieurs expressions françaises, certaines porteuses de la même idée, peuvent aider à comprendre l’esprit de ces mots. Nous avons par exemple : perdre le moral, garder le moral, avoir le moral dans les chaussettes, remonter le moral etc. Moral ici met en avant non pas des principes, des valeurs ou des jugements éthiques, mais une certaine disposition mentale (du latin mens, mente : esprit) face aux différents événements de la vie. Ceux-ci étant souvent surprenants et contradictoires, il faut entraîner l’esprit à les affronter sans trop se laisser battre.
Le Même-moralisme propose ainsi cette idée de garder la tête haute, le moral fort, équilibré et stable face à toute situation, non seulement difficile, mais aussi joyeuse. De même qu’il apprend à vivre un manque, une séparation, un échec, une défaite, il doit savoir ne pas trop se laisser emporter par les nouvelles joyeuses. Tout comme un cœur qui pleure abondamment se fait du mal, un esprit qui ne canalise pas sa joie court le risque de la perdre. On a vu des enfants joyeux courir çà et là et revenir en pleurant parce qu’ils ont cogné un mur, ou des personnes contentes de leur argent se faire voler parce que, dans leur joie, elles l’ont montré ou dit à tout le monde.
Cette pensée se retrouve également dans le magnifique texte « Si » de Rudyard Kipling[1]. En effet il écrit au commencement de la strophe 7 :
Si tu peux rencontrer triomphe après défaite
Et recevoir ces deux menteurs d’un même front…
Voilà toute la sagesse contenue dans ces quelques lignes : savoir que la victoire comme la défaite peuvent faire perdre la tête et veiller à garder, face à elles, le même moral !
Le Même-moralisme, une façon de dire son mot à la vie.
Audry Mezol[2] parle du « Oui-vitalisme », Martin Steffens[3] invite à son tour à « consentir à la vie ». Ces philosophies de vie sont intéressantes dans la mesure où elles proposent au vivant de ne pas subir la vie mais de l’accepter. Cette acceptation marque ainsi le début d’une vie voulue et aimée. A ces deux manières de rencontrer la vie, le Même-moralisme s’ajoute comme une dose de plus de volonté de vie, qui donne à l’esprit humain la liberté de vivre les situations de sa vie, en décidant de leur impact sur son état d’être. C’est également prendre le dessus sur les émotions et les sentiments qui peuvent être des vents violents qui emportent. Il ne s’agit aucunement de ne pas exprimer ses émotions ; bien au contraire, c’est décider quelle émotion exprimer, quand et comment le faire.
Finalement, le Même-moralisme est un cri d’espoir. R.Kypling qualifie le triomphe et la défaite de « menteurs ». L’un peut donner des illusions de toute-puissance, l’autre des impressions de nullité ou plutôt de « nihilité ». Dans tous les deux cas, il se trouve un mensonge profond : celui de croire que le contraire ne peut pas arriver. Pour la personne qui se trouve dans une situation pénible, « Même moral » signifie qu’il ne sert pas de désespérer car les pleurs d’aujourd’hui peuvent devenir les rires de demain. C’est un encouragement à avancer malgré les déboires. « Ata ndele mokili ekobaluka », dit-on en lingala pour signifier que quoi qu’il advienne, le monde changera. Alors, même moral !
[1] Écrivain britannique né à Bombay en Inde en 1865.
[2] Orateur et juriste congolais
[3] Lire le “Petit traité de la joie”: percevoir la beauté de l’existence, éd. Salvator, 2011.
Commentaires
Le pays est fière de t’avoir engendré, Monsieur Bobanga
Signé Bérénice Banu
Moi personnellement je remarque que cette phrase actuellement n'est devenu qu'un simple slogan pour laisser le mal grandir