Le Yaya, institution sociale de la responsabilité en République démocratique du Congo. Par Beni BOBANGA WAWA
Il existe plusieurs manières de définir une institution, selon l'angle sous lequel on veut la placer. Abstraction faite de la conception juridico-politique - moins intéressante pour cette réflexion - je saisirai cette notion en deux temps. D'abord, institution comme état ou situation. Dans ce sens, elle fait référence à des structures organisées ayant pour fonction de maintenir un état social* ( Virginie Tournay). Ensuite, institution comme processus. Cette conception est intimement liée à l'étymologie du mot. Du latin Instituere, contracté de in statuere qui signifie "placer dans" ou "établir", il y ressort l'idée d'un mouvement ou d'un processus de stabilisation des pratiques et des normes d'une société. Une institution sociale est perçue comme une structure dotée d'une certaine stabilité et durabilité dans le temps* (Wikipédia).
Dans la culture africaine en général et au Congo-Kinshasa en particulier, la famille dépasse les critères de définition d'une institution. En effet, au-delà des éléments palpables (ex: les personnes qui la composent, les règles qui la régissent, les activités qui s'y déroulent), elle revêt une dimension fortement spirituelle et se compose des éléments invisibles. Sans tomber dans la superstition, l'esprit, mieux la spiritualité de la famille se manifeste notamment dans sa vocation à toujours s'élargir, jusqu'à intégrer des éléments non biologiques et dans sa capacité à constituer, plus que toute autre institution sociale ( y compris l'école) un laboratoire d'invention de la société, du reste considérée comme la grande famille. Pour ce dernier cas en particulier, la famille invente et réinvente la société non pas seulement dans le renouvellement et la reproduction de ses membres, mais aussi et surtout dans leur formation et éducation en tant qu élément de cette société-famille. C'est ainsi qu'intervient le "Yaya", sur lequel porte ma réflexion.
Traduit en français par grande soeur et/ou grand frère, le terme Yaya désigne en lingala celui ou celle des enfants qui naît avant un ou plusieurs autres. Il est souvent placé avant le nom de la personne concernée et est abrégé en "Ya ". On dira: Ya Yanick, Ya Clairbeau, Ya Daisy, Ya Mélissa etc. Cette manière de désigner un.e ainé. e crée, d'une part, une obligation de respect et un sentiment de sécurité auprès des plus jeunes et constitue, d'autre part, un appel à la responsabilité et au sacrifice pour les plus âgés.
Au nom d'une vision erronée de la modernité et de la civilisation, d'aucuns estiment qu'il n'est pas nécessaire de désigner son ainé. e par Yayaet que le respect n'est pas forcément lié à cette appellation. Le problème c'est que c'est justement cette appellation qui fait la particularité et le caractère institutionnel de l'aîné. Aussi, ce devoir de respect des uns est à concilier nécessairement avec le devoir de responsabilité des autres. Je pense que l'argument évoqué ici par cette tendance veut simplement légitimer l'absurde volonté de copier et de consommer ce qui vient d'ailleurs. C'est aussi pour ça que cette réflexion veut puiser dans le fond social, des pratiques qui constituent des éléments de l'âme d'une société en agonie, dont les membres ne cessent de désavouer et de renier l'essence; une société qui a pris l'habitude de considérer ses particularités comme des anomalies.
Dans la famille congolaise, il est assez étonnant de constater que le Yaya, quelque soit son âge, se sent déjà responsable, dès qu'il en est conscient. C'est ainsi qu'on verra une fille ou un garçon de moins de 6 ans prendre soin, dans la mesure du possible, de son petit frère ou de sa petite soeur. Outre un appel, le "Yaya" est un véritable rappel. Quand il arrive à un ainé dans une famille de commettre une bêtise, il suffit très souvent aux parents de lui rappeler qu'il est Yaya.
Le Yaya est avant tout responsable de lui-même et de ses actes, surtout s'il n'y a pas d'autres Yaya avant lui. Il doit être un exemple et un modèle pour ses jeunes frères et soeurs. La conscience de cet état des choses lui permet de se dépasser. Il est aussi responsable de tous ceux qui naissent après lui. Le Yaya est enfin appelé à devenir plutard responsable des parents, lorsque ceux-ci prennent de l'âge et ne peuvent plus prendre soin d'eux-mêmes.
Être Yaya c'est être un apprenti parent. Il est fascinant de voir les filles surtout, s'occuper de leurs jeunes frères et soeurs en imitant leurs mères. Quant aux garçons, ils sont des véritables protecteurs et pères de famille en herbe. Certes, il existe quelques droits découlant du fait d être Yaya. Mais cela implique plusieurs devoirs et sacrifices. Quand il y en a peu pour manger, le Yaya doit laisser manger ses petit. e. s. Et même quand il est héritier des biens des parents, il en est en réalité qu'un gestionnaire car tous ses frères et soeurs doivent en bénéficier. On ne trouve pas les Yayaseulement en famille, ils sont partout dans la société.
En somme, les descriptions faites ci-dessus peuvent se vérifier aussi dans les familles d'autres sociétés. Cependant, l'analyse repose sur la particularité du fait qu' être grand frère ou grande soeur ne se limite pas seulement à une situation de facto mais se trouve institutionnalisé autour d'un concept particulier, porteur de sens profondément positif et d'un rôle social émanant de la famille mais allant au-delà.
Par Beni BOBANGA WAWA,
Commentaires
P.s.: le droit public se ressent forcément dans ce blog😅
Ce qui a été décrit est le propre de l'homme en général : la charge de l'aîné envers ses cadets.
Mais, la particularité avec nous c'est que nous la fondons autour d'une institution : Le YAYA.
👌🏼👌🏼